samedi 31 mai 2008

Agnus Dei, un film de Lucia Cedron

Argentine. 2002. Marasme économique. Arturo, un vétérinaire de soixante-dix-sept ans, est enlevé à Buenos Aires. Guillermina, sa petite-fille de trente ans, est contactée par les ravisseurs. Elle fait appel à sa mère, Teresa, fille d'Arturo, qui vit en France depuis son exil de près de vingt-cinq ans.
Argentine. 1978 : le mari de Teresa, opposant d'extrême gauche à la junte, meurt, abattu officiellement par une « balle perdue ».
Avec Agnus Dei, Lucia Cedron revient sur la guerre civile - donc familiale - argentine et s'interroge sur le prix à payer pour la survie. Construit sur une alternance très fluide de scènes au présent et de flash-back, le film entremêle les époques : travelling latéral, simple mouvement de caméra au sein d’un même décor, pour mieux passer d’une époque à une autre et révéler la béance des vieilles plaies mal soignées. A l'image de cette famille, déchirée entre trois générations, un pays ne peut avancer tant qu'il n'a pas regardé son passé en face.
Mais plutôt que l’éventuel mea culpa du grand-père, c’est la reconsidération envers la position de Teresa par sa propre fille qui marque l'esprit du spectateur.

Avec Leonora Balcarce, Ariana Morini, Mercedes Morán, Jorge Marrale.

mardi 20 mai 2008

Michael Tolliver est vivant, d'Armistead Maupin

Voici près de dix ans qu'ils avaient pris congé, les très anticonformistes résidents du 28, Barbary Lane... dans ce nouvel opus, Maupin remet en scène tout ce petit monde. Michael Tolliver, quinquagénaire séropositif, vit aujourd'hui en harmonie avec Ben, garçon bien plus jeune que lui. Autour d'eux, le sida et les abus divers ont fait des ravages parmi leurs proches.
Alors qu'elle l'avait renié à cause de son homosexualité, sa mère, fondamentaliste, tombe malade, et demande à Michael de venir à son chevet. Mais, au même moment, Anna Madrigal, qu'il considère comme sa seconde mère, tombe dans le coma. Michael Tolliver devra alors choisir entre ses deux familles : celle du sang et celle du coeur.
Sans surprise, le roman de Maupin fonctionne sur cette opposition entre devoir conventionnel/instinct affectif, et met en scène, souvent avec légèreté et humour, les contradictions qui rendent la vie si complexe et parfois si douloureuse...

"Michael Tolliver est vivant" dégage une étrange mais agréable légèreté, un optimisme sans faille malgré les sujets tragiques qui hantent le roman. Pourquoi ? Parce que Michaël/Mouse vieillit sans regret ? Parce qu’il survit à la maladie, ou plutôt parce qu'il apprend à vivre avec ? Qu'importe... Maupin démontre dans son dernier roman que le bonheur est à porter de main.
"Michael Tolliver est vivant" : une petite bulle d'oxygène qui permet de sourire au monde.

lundi 5 mai 2008

Mats EK à l'opéra de Paris

Les deux pièces de Mats Ek programmée à l'Opéra de Paris nous rappelle combien le chorégraphe suédois excelle dans l'analyse du petit quotidien frustrant de l'homme (et de la femme) occidental(e).

"La maison de Bernarda" est inspirée de "La casa de Bernarda Alba", ultime pièce de Frederico Garcia Lorca, écrite peu de temps avant son exécution par les franquistes. Dans une Espagne au seuil de la guerre civile et exaspérée par l'injustice les préjugés et la morale, Bernarda, veuve dévote et orgueilleuse, contraint ses cinq filles à porter le deuil de leur père en vivant coupées du monde. Au fil des jours se révèle toute la complexité des rapports humains qui se tissent dans ce huis clos quasi-féminin. Jusqu'au drame final: le suicide de la plus jeune.
Vêtues de noir, les jeunes femmes se soumettent à la morale orchestrée par la mégère, incarnée respectivement par Manuel Legris et Kader Belarbi. La pureté et la précision gestuelles de Legris renforcent l'idée de domination et d'obéissance de cette femme qui a perdu tout sentiment maternel, en particulier lorsqu'elle (il) cache sous le tapis, comme un vulgaire objet, le corps de sa fille morte, pour le dérober aux regards inquisiteurs des habitants du village. Alors que Belarbi choisit d'incarner une maîtresse de cérémonie plus égocentrique, accentuant ainsi le malaise et la perversité de la scène du pas de deux avec le Christ. Quant à Marie Agnès Gillot, elle incarne une servante "perturbatrice" des règles imposées par la mère, déconstruisant ce carcan autoritaire. Alors qu'Alice Renavand est une servante plus coquine, plus complice du jeu des cinq filles , à l'image des servantes des pièces de Molière.

"Une sorte de..." est une pièce consacrée à la banalité et l'incompréhension humaines. Il ne s'agit là ni de raconter ni d'illustrer, simplement de traduire ce que la vie peut avoir de tragiquement sans heurts. La banalité dérape souvent dans l'incongruité, voire le surréalisme. C'est à cette veine naturaliste sans complaisance, à laquelle appartiennent "Smoke" ("Solo for two" pour la scène) et "Appartement" que se rattache "Une sorte de..." Rêve ou réalité ? Qu'importe ! Ici, le bizarre est la norme. Pièce dramatique, d'amour, de sexe et de mort, "Une sorte de..." est comme le résumé de la méthode Mats Ek. Pour l'illustrer, le chorégraphe a choisi des oeuvres du musicien polonais Henryk Gorecki. Cuivres explosifs, accords profonds et sons de cloches conduisent cette parade sociétale et colorée à un rythme d'enfer. Séverinne Westermann et José Martinez accentuent la confusion des genres et le burlesque de la pièce, alors que Daniel et Leriche se contentent d'illustrer les propos du chorégraphe. Miteki Kudo est éblouissante. Une fois de plus.

Tous les thèmes qu'affectionne Mats Ek (la famille vénéneuse, la jalousie féminine, l'amour et la souffrance) trouvent une traduction dans l'amplitude du mouvement, dans les grands pliés seconde, dans les développés extrêmes, les grands jetés mains secouées utilisés par le chorégraphe. Et la souplesse des corps de ses interprètes est rompue par des attitudes angulaires fortement ancrées dans le sol.

Deux distributions alternent au cours de ces soirées. Tous les danseurs distribués excellent dans ce langage et s'investissent dans leurs personnages... certainement le plus intéresant programme de cette saison à l'Opéra.