lundi 5 mai 2008

Mats EK à l'opéra de Paris

Les deux pièces de Mats Ek programmée à l'Opéra de Paris nous rappelle combien le chorégraphe suédois excelle dans l'analyse du petit quotidien frustrant de l'homme (et de la femme) occidental(e).

"La maison de Bernarda" est inspirée de "La casa de Bernarda Alba", ultime pièce de Frederico Garcia Lorca, écrite peu de temps avant son exécution par les franquistes. Dans une Espagne au seuil de la guerre civile et exaspérée par l'injustice les préjugés et la morale, Bernarda, veuve dévote et orgueilleuse, contraint ses cinq filles à porter le deuil de leur père en vivant coupées du monde. Au fil des jours se révèle toute la complexité des rapports humains qui se tissent dans ce huis clos quasi-féminin. Jusqu'au drame final: le suicide de la plus jeune.
Vêtues de noir, les jeunes femmes se soumettent à la morale orchestrée par la mégère, incarnée respectivement par Manuel Legris et Kader Belarbi. La pureté et la précision gestuelles de Legris renforcent l'idée de domination et d'obéissance de cette femme qui a perdu tout sentiment maternel, en particulier lorsqu'elle (il) cache sous le tapis, comme un vulgaire objet, le corps de sa fille morte, pour le dérober aux regards inquisiteurs des habitants du village. Alors que Belarbi choisit d'incarner une maîtresse de cérémonie plus égocentrique, accentuant ainsi le malaise et la perversité de la scène du pas de deux avec le Christ. Quant à Marie Agnès Gillot, elle incarne une servante "perturbatrice" des règles imposées par la mère, déconstruisant ce carcan autoritaire. Alors qu'Alice Renavand est une servante plus coquine, plus complice du jeu des cinq filles , à l'image des servantes des pièces de Molière.

"Une sorte de..." est une pièce consacrée à la banalité et l'incompréhension humaines. Il ne s'agit là ni de raconter ni d'illustrer, simplement de traduire ce que la vie peut avoir de tragiquement sans heurts. La banalité dérape souvent dans l'incongruité, voire le surréalisme. C'est à cette veine naturaliste sans complaisance, à laquelle appartiennent "Smoke" ("Solo for two" pour la scène) et "Appartement" que se rattache "Une sorte de..." Rêve ou réalité ? Qu'importe ! Ici, le bizarre est la norme. Pièce dramatique, d'amour, de sexe et de mort, "Une sorte de..." est comme le résumé de la méthode Mats Ek. Pour l'illustrer, le chorégraphe a choisi des oeuvres du musicien polonais Henryk Gorecki. Cuivres explosifs, accords profonds et sons de cloches conduisent cette parade sociétale et colorée à un rythme d'enfer. Séverinne Westermann et José Martinez accentuent la confusion des genres et le burlesque de la pièce, alors que Daniel et Leriche se contentent d'illustrer les propos du chorégraphe. Miteki Kudo est éblouissante. Une fois de plus.

Tous les thèmes qu'affectionne Mats Ek (la famille vénéneuse, la jalousie féminine, l'amour et la souffrance) trouvent une traduction dans l'amplitude du mouvement, dans les grands pliés seconde, dans les développés extrêmes, les grands jetés mains secouées utilisés par le chorégraphe. Et la souplesse des corps de ses interprètes est rompue par des attitudes angulaires fortement ancrées dans le sol.

Deux distributions alternent au cours de ces soirées. Tous les danseurs distribués excellent dans ce langage et s'investissent dans leurs personnages... certainement le plus intéresant programme de cette saison à l'Opéra.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourquoi s'attache-t-on à des chroniques? Parceque l'écrivain sait donner son regard par l'intermédiaire des mots (c'est un peu comme si un double ce soir là ...)Là j'y suis allée et j'ai tout ressenti comme toi peut être avec en plus dans la retenue de l'écrit une délicatesse de sensibilité qui m'émeut toujours quand je te lis

Anonyme a dit…

Je suis sure que j'aurais adoré ce programme. Merci à toi je peux le sentir plus proche et même experimenter des sensations en te lissant. C'est déjà pas mal, merci!
Mats Ek, je n'ai pas vu aucune des pieces que tu commentes en direct, mais si par exemple Aluminium crée pour la CND de Nacho Duato que j'ai aimé beaucoup (vu deux fois, à Madrid et à Valencia).
Quand aux danseurs frnaçais je ne doute pas qu'ils ont été éblouissants. J'ai vu Miteki Kudo dans la piece "Air" (enregistré) et j'aimerais beaucoup avoir la possibilité de la voir en direct un jour.
Merci encore, comme j'aurais aimé de te lire aussi sur foto!
Carolina/May

kreul a dit…

J'ai bcp aimé Aluminium présenté par le ballet Cullberg il y a 2 saisons à Chaillot. Je crois être "fan" de Mats EK, et pour moi, sa Carmen est inoubliable... alors, dansée par Guillem....
peut etre feras tu le voyage à Londres pour la voir la saison prochaine ?

merci pour tes posts ! besos